Eni et Shell seront jugés en Italie pour corruption présumée au Nigeria
La juge milanaise Giuseppina Barbara a renvoyé devant la justice 15 personnes physiques et morales, dont Eni et Shell.
Parmi les prévenus figurent également l'actuel patron d'Eni, Claudio Descalzi, son prédécesseur, Paolo Scaroni, de même que d'autres dirigeants et cadres de Shell et du groupe italien, ainsi que l'ex-ministre nigérian du Pétrole, Dan Etete.
Cette décision "donne espoir et confiance aux communautés que des compagnies pétrolières comme Shell and Eni soient contraintes de rendre des comptes", alors même que "pendant des années les groupes pétroliers se cachaient derrière le laxisme des lois locales pour échapper à la justice", s'est félicité Legborsi Pyagbara, président du Mouvement pour la survie du peuple ogoni.
Dans un communiqué, le conseil d'administration d'Eni a réaffirmé pour sa part "sa confiance dans le fait que la compagnie n'ait pas été engagée dans des activités de corruption", ni M. Descalzi.
Il a également exprimé "sa pleine confiance dans la justice et le fait que le procès puisse déterminer et confirmer la justesse et l'intégrité de sa conduite".
"Serein"
En avril, Eni s'était déjà dit "serein" face à cette enquête. Des audits internes ont été menés, avec l'aide de consultants externes "indépendants", et rien de compromettant n'a pu être trouvé, avait alors déclaré sa présidente Emma Marcegaglia.
L'ONG britannique Global Witness et Finance Uncovered, un réseau de journalistes d'investigation à travers une soixantaine de pays, avaient publié quelques jours plus tôt un rapport accablant contre Eni et Shell, accusant ce dernier d'avoir "su" que l'argent versé n'irait pas au gouvernement nigérian, mais à des individus.
Lors de son arrivée au pouvoir, Goodluck Jonathan avait repris les négociations pour céder la concession OPL-245, extrêmement convoitée avec sa capacité de production de plus de 9 milliards de barils.
Ce bloc était alors aux mains de l'ancien ministre du Pétrole sous le régime du dictateur Sani Abacha, Dan Etete, qui se l'était attribué dans le plus grand secret, en le vendant à la société Malabu Oil & Gas, dont il était le seul actionnaire.
En 2012, Shell assurait ne pas avoir su que le bloc appartenait à l'ex-ministre, qui aurait reçu une part importante de la commission, selon la justice italienne: près de 800 millions d'euros.
Pourtant, dans les échanges de mails entre deux dirigeants de Shell auxquels le rapport de Global Witness et Finance Uncovered fait référence et que l'AFP a pu consulter, les liens entre le gouvernement nigérian et l'ex-ministre sont identifiés.
"Le président (Jonathan) veut régler l'affaire 245 rapidement, compte tenu des conséquences pour Malabu et des contributions politiques qui s'en suivront (...) +Ete+ sent l'argent venir, écrit un conseiller pour Shell International.
"S'il est possible de prouver que des paiements inappropriés ont été faits par Malabu ou d'autres à des responsables du gouvernement de l'époque en échange d'une conduite inappropriée (...), aucun de ces paiements n'a été fait avec la connaissance de Shell, son autorisation ou en son nom", avait déclaré en avril dernier un porte-parole.
La Commission nigériane pour les crimes économiques et financiers (EFCC) mène une enquête parallèle, et a mis en accusation en mars 11 hommes d'affaires et hommes politiques nigérians, dont Dan Etete.
L'actuel président nigérian, Muhammadu Buhari, élu en 2015, a promis de mener un combat sans répit contre le "cancer de la corruption" qui gangrène le principal producteur de pétrole du continent africain avec l'Angola.
De nombreux biens ont été depuis saisis et des comptes bancaires gelés. Mais M. Buhari a été lui-même éclaboussé en octobre par un scandale visant l'un de ses proches, après la fuite d'une lettre du secrétaire d'Etat au Pétrole dénonçant des malversations au sein de la compagnie pétrolière d'Etat.
(c) AFP