Nigeria: nouveau scandale au sein de la compagnie pétrolière nationale
Dans une lettre adressée personnellement au président Buhari mais qui a été dévoilée dans la presse locale, Emmanuel Ibe Kachikwu, dresse une liste de cinq contrats d'une valeur de 25 milliards de dollars "signés sans aucune connaissance ni approbation du conseil d'administration de la NNPC (Nigerian National Petroleum Corporation)".
"Et il y en a beaucoup d'autres votre Excellence", tranche l'auteur de la lettre, disant regretter, le "climat de peur", "la non-transparence", "l'humiliation", le tribalisme et les soupçons de corruption qui règnent au sein de la NNPC.
Selon Benjamin Augé, chercheur associé à l'Institut français des relations internationales, "le volume vendu par la NNPC représente plus de 50% du volume total - d'environ 2 millions de barils/jour - produit dans le pays", à travers ses joint-ventures avec les grandes compagnies internationales (Shell, Total, ExxonMobil, Chevron, ENI,..).
Le 'cancer' de la corruption
En 2014, le gouverneur de la Banque Centrale, Lamido Sanusi, avait mis à jour l'un des plus gros scandales de corruption du pays, dénonçant la disparition de 18 milliards de dollars des caisses de l'Etat, entre 2012 et 2013.
M. Sanusi a été évincé par le pouvoir, mais c'est sûrement ce même scandale, et les accusations de pillages à grande échelle, qui ont fait perdre Goodluck Jonathan à la présidentielle de 2015, face à Muhammadu Buhari, réputé pour sa droiture.
Le président Buhari avait assuré vouloir mettre fin au "cancer de la corruption". Quasiment toutes les semaines, des comptes sont gelés, des immeubles soupçonnés avoir été mal acquis sont saisis.
Mais ses détracteurs l'accusent de ne viser que des membres du parti adverse en menant "une chasse aux sorcières".
Pourtant, la lettre explosive de M. Kachikwu, datée de la fin août, n'a donné lieu à aucune réaction apparante du président nigérian. Le pays n'a eu connaissance des problèmes au sein de la compagnie qu'après sa fuite dans un journal local cette semaine.
"Depuis que Baru a été nommé (par M. Buhari) à la tête de la NNPC (en 2016, en remplacement de M. Kachikwu qui assumait cette fonction en plus de sa charge de secrétaire d'Etat au pétrole), il n'a eu qu'un objectif: isoler Kachikwu", explique à l'AFP le chercheur Benjamin Augé.
Les deux hommes n'ont rien en commun. Le Dr Baru, 58 ans, fait partie de la vieille garde musulmane du Nord, tout comme le président Buhari. Sa carrière au sein de la NNPC lui a permis de développer un réseau politique très puissant.
Tout le contraire d'Ibe Kachikwu, originaire du Sud et du secteur privé (diplômé d'Harvard, il était le numéro 2 d'ExxonMobil pour l'Afrique).
Ses efforts pour assainir le secteur ont été salués par les financiers et investisseurs. Mais depuis la nomination de M. Bahu, un ancien du système, à la tête du NNPC en 2016 tout est bloqué, selon les experts.
"Buhari a placé Baru à la tête de la NNPC uniquement parce qu'il vient du Nord, comme lui", tranche un analyste financier nigérian.
Le PDP (Parti Démocratique Populaire, opposition) a demandé jeudi le limogeage de M. Baru, et dénoncé "le silence pesant du président Buhari sur les accusations de malversations au sein de la vache à lait qu'est la NNPC".
Le secrétaire d'Etat Ibe Kachikwu a finalement été reçu vendredi par le président Buhari. A sa sortie, il a lancé un "pas de commentaire" lapidaire à la presse.
"Il est peu probable qu'il (M. Kachikwu) soit évincé du gouvernement, cela donnerait une trop mauvaise image aux investisseurs", a commenté l'analyste financier.
"Mais il est sur un siège éjectable pour le prochain remaniement ministériel de 2018. Dans le fond, on reste avec le même système corrompu dont Buhari a hérité. Rien n'a changé."
(c) AFP