Pétrole: les solutions de l'Iran face aux sanctions américaines
Entre 2012 et 2015, au plus dur des sanctions internationales, la République islamique est parvenue à écouler une partie de son brut à l'étranger, notamment en maquillant ses pétroliers, et ces méthodes n'ont jamais vraiment cessé, notent certains analystes.
"Assez souvent, nous voyons des pétroliers qui entrent en Iran ou en sortent secrètement", dit à l'AFP Samir Madani, cofondateur du site TankerTrackers.com, moniteur du commerce pétrolier mondial.
Leur nombre pourrait augmenter après le 5 novembre, date du rétablissement de sanctions américaines contre l'industrie pétrolière iranienne.
Le retour de ces sanctions extraterritoriales procède de la décision annoncée en mai par la Maison Blanche de se retirer unilatéralement de l'accord international sur le nucléaire iranien conclu en 2015 à Vienne.
Promettant "une pression financière sans précédent" sur l'Iran, Washington dit être déterminé à réduire "à zéro" ses exportations de brut et menace les entreprises ou pays qui continueraient de lui acheter du pétrole.
Ces pressions ont déjà fait chuter de 24% les ventes de pétrole de l'Iran entre mai et août, selon l'agence d'information financière Bloomberg.
"Nous avons sous-estimé à quel point New Delhi et Pékin pourraient se plier aux exigences américaines", écrit le cabinet de conseil Eurasia Group dans une note, s'étonnant de la baisse brutale des achats de brut iranien par l'Inde et la Chine (respectivement 49% et 35% en trois mois selon eux).
"Chat et souris"
Mais, pour plusieurs analystes, l'objectif "zéro" du gouvernement américain paraît irréaliste.
L'Iran détient les quatrièmes réserves mondiales prouvées de pétrole et nombre de pays, en Asie particulièrement, ont besoin de se fournir en brut iranien, d'autant que leurs raffineries sont spécialement conçues pour traiter cette variété de pétrole-là et pas une autre.
Selon un analyste du cabinet de conseil Wood Mackenzie, spécialisé dans le domaine de l'énergie, l'Iran a déjà commencé à accorder des réductions supplémentaires, de l'ordre de 10 à 15 millions de dollars par mois, à certains gros importateurs comme l'Inde et la Chine.
Afin de retarder ou contourner les sanctions, "les acheteurs peuvent payer en nature, en une autre monnaie (que le dollar), ou payer à crédit, voire régler sur un compte sous séquestre en Suisse et attendre que les sanctions soient levées. L'Inde a fait comme ça" de 2012 à 2015, dit M. Madani, de TankerTrackers.com.
Ou encore, si l'Iran parvient à faire parvenir son pétrole dans un port ami, celui-ci peut alors être mélangé à du brut d'une autre provenance et être revendu ainsi, indique Thijs Van de Graaf, professeur de politique internationale à l'Université de Gand (Belgique).
"L'Iran a joué au chat et à la souris la dernière fois (...) et recommencera probablement cette fois-ci", dit-il à l'AFP.
L'Iran a aussi ressorti récemment la menace de bloquer le détroit d'Ormuz, point de passage stratégique pour le commerce mondial de pétrole.
Mais une telle mesure handicaperait aussi Téhéran puisque la majorité de ses exportations de pétrole transite par ce secteur commandant l'entrée du Golfe.
Pressions sur l'Europe
Fermement opposée au retrait américain de l'accord sur le nucléaire iranien, l'Union européenne a réaffirmé son attachement à ce texte et promis un ensemble de mesures censées garantir les intérêts économiques de la République islamique pour permettre à l'Iran de continuer de respecter ce pacte.
L'accord est présenté par ses partisans en Occident comme la meilleure garantie pour empêcher l'Iran de se doter de l'arme atomique.
Vu la force dissuasive des sanctions américaines, certains doutent cependant de la capacité de l'Europe à accoucher d'une proposition acceptable pour l'Iran.
"Si nous ne pouvons maintenir" des ventes de pétrole supérieures à 2 millions de barils par jour "après la mise en oeuvre des mesures européennes, alors ce sera une ligne rouge", a averti début septembre Abbas Araghchi, vice-ministre des Affaires étrangères iranien.
Téhéran a déjà prévenu qu'il se retirerait de l'accord de Vienne si celui-ci ne "préserve plus (ses) intérêts nationaux".
Si elle se poursuit, la tendance de hausse des prix du pétrole observée depuis 2016, pourrait néanmoins faire le jeu de l'Iran.
"En théorie, il est parfaitement possible d'avoir une hausse (...) qui vienne compenser parfaitement la baisse (du volume) des exportations" iraniennes, estime M. Van der Graaf.
(c) AFP