Pétrole: la Chine lance ses contrats à terme pour bousculer le marché mondial
Les échanges sur ces contrats, libellés en yuans et accessibles aux investisseurs étrangers, ont débuté sur le Shanghai International Energy Exchange, division de la Bourse shanghaïenne des matières premières.
L'aboutissement d'une longue ambition: le géant asiatique, vorace consommateur d'hydrocarbures, réfléchissait depuis un quart de siècle à lancer des contrats pour mieux peser sur les marchés énergétiques.
Or, "il manquait un baromètre capable de refléter précisément les marchés asiatiques", plaide Gao Jian, analyste de SCI, cabinet chinois d'information sur les matières premières.
Le contrat shanghaïen, concernant un brut "moyen sulfuré", sera "mieux adapté aux besoins chinois", indique-t-il à l'AFP.
Mais l'objectif est surtout "d'accroître la capacité (de la Chine) à négocier sa facture énergétique", en intervenant plus directement dans la détermination des cours mondiaux, insistent les analystes de la firme chinoise ICIS.
Le pays a dépassé l'an dernier les Etats-Unis comme premier importateur mondial de pétrole brut, avec des importations de 420 millions de tonnes en 2017, un niveau record.
Enfin, Pékin peut espérer conforter ainsi la visibilité du yuan, dont il veut doper l'usage à l'international en dépit d'une convertibilité toujours très encadrée.
L'initiative chinoise pique la curiosité des investisseurs occidentaux sans vraiment convaincre: seuls 19 courtiers étrangers se sont enregistrés pour participer aux échanges, dont la quasi-totalité... basés à Hong Kong.
"Il y a davantage de curiosité que d'appétit", confirme à l'AFP Michal Meidan, analyste du cabinet Energy Aspects.
"La poignée de contrats à terme pétroliers qui fonctionnent dans le monde tendent à avoir une liquidité importante, à exister depuis des décennies, à être en dollars", relève Jonty Rushforth, de l'agence d'information sur l'énergie Platts.
Or, le nouveau-venu accumule les obstacles, à commencer par le fait d'être libellé en yuans, monnaie dont Pékin encadre les fluctuations tout en restreignant les mouvements de capitaux.
De quoi dissuader des investisseurs et compliquer la perspective de voir émerger un jour d'hypothétiques "pétro-yuans".
Autre complication: les horaires des échanges shanghaïens ne correspondent pas aux heures diurnes en Occident, "ce qui n'est pas idéal" observe Mme Meidan.
Surtout, l'interventionnisme endémique de l'Etat sur les marchés financiers chinois peut "inquiéter" les investisseurs occidentaux, et même "compromettre l'essor du contrat" shanghaïen, s'alarme Gao Jian.
"La Chine n'est pas un marché véritablement libre. Les barrières d'accès au marché restent nombreuses", souligne-t-il.
Dans l'immédiat, le contrat shanghaïen pourrait surtout attirer des investisseurs particuliers chinois en quête d'un placement rémunérateur -- à l'image d'autres Bourses locales de matières premières, où s'échangent acier, ail ou fruits, victimes d'emballements spéculatifs réguliers.
A Shanghai, les autorités ont certes adopté des dépôts de couverture élevés pour dissuader certains spéculateurs. "Mais dans le même temps, la Chine veut un marché (suffisamment) liquide. C'est un équilibre délicat" à trouver, commente Michal Meidan.
Dans tous les cas, les analystes surveilleront attentivement le nouveau contrat, susceptible de devenir un indicateur de la demande chinoise à défaut de détrôner le duopole WTI WTI Le West Texas Intermediate (WTI), aussi appelé Texas Light Sweet, est une variation de pétrole brut faisant office de standard dans la fixation du cours du brut et comme matière première pour les contrats à terme du pétrole auprès du Nymex (New York Mercantile Exchange), la bourse spécialisée dans l'énergie.-Brent.
"La transparence du marché en Asie du Nord va être améliorée", juge ainsi M. Rushforth.
"Cela va prendre du temps, mais d'ici cinq ans, cela pourrait bien être la référence du prix en Chine", abonde Mme Meidan.
Et d'évoquer un précédent: dans les métaux industriels, dont la Chine est le premier pays importateur, la référence chinoise du SHFE pèse désormais plus sur les tendances des prix mondiaux que le London Metal Exchange (LME) européen, rappelle-t-elle.
Mais de là à voir Shanghai devenir la référence mondiale du marché pétrolier, "on en est encore loin", reconnaît-elle.
(c) AFP