La future exploitation du gaz de schiste enflamme l'Algérie
Dans ce pays où les hydrocarbures comptent pour 97% des recettes d'exportations, les réserves en gaz conventionnel prouvées sont estimées à plus de 4.000 milliards de m3 et celles en pétrole à plus de 12 milliards de barils.
Si les réserves restent en 2030 à leur niveau actuel, nous n'allons couvrir que la demande nationale, a déclaré le Premier ministre algérien, Abdelmalek Sellal, devant les députés dimanche pour expliquer le recours futur au gaz de schiste.
Décision prise à la hussarde, crime contre les générations futures et danger qui nécessite une consultation populaire... Aussitôt la décision du gouvernement annoncée le 21 mai, des pétitions ont été lancées sur internet pour demander un débat public, alors que les principaux partis d'opposition se prononçaient contre l'exploitation de cette énergie fossile non conventionnelle.
La décision est hâtive et ne tient pas compte de tous les aléas, juge l'ancien PDG du groupe public Sonatrach, Nazim Zouioueche.
- Craintes pour l'environnement -Même si le président Abdelaziz Bouteflika a pressé le gouvernement de veiller à ce que cette exploitation se fasse dans le respect de l'environnement, l'inquiétude est vive dans ce domaine.
Directeur du Laboratoire de valorisation des énergies fossiles à l'Ecole polytechnique d'Alger, le professeur Chems Eddine Chitour dénonce la méthode d'exploitation, qui consiste notamment à fracturer la roche de schiste en injectant de l'eau additionnée d'additifs chimiques à forte pression.
Certains produits chimiques utilisés sont cancérigènes. Il y aura forcément des fuites dans la nappe phréatique. Le risque zéro n'existe pas, prévient-il.
Il faut 15 à 20 millions de m3 d'eau (dans un pays semi-aride, ndlr) et des tonnes de sable pour procéder à la fracturation d'un puits sans compter les additifs dangereux pour la santé et l'environnement, renchérit M. Zouioueche.
Mounir Bencharif, coordinateur d'une association de protection de l'environnement, réclame un référendum. C'est une décision trop importante pour être prise par le gouvernement et les députés seuls, relève-t-il, en demandant que le droit à l'environnement soit inscrit dans la Constitution.
D'un point de vue économique, M.Zouioueche souligne par ailleurs que la rentabilité est assez aléatoire.
Le rapport du département américain de l'Energie (DoE) sur les réserves mondiales d'hydrocarbures non conventionnels classe l'Algérie au 3e rang mondial en termes de réserves de gaz de schistes récupérables.
Le DoE évalue ces réserves, situées dans le Sahara, à 19.800 milliards de m3.
Pour développer ce potentiel, Sonatrach a conclu des partenariats avec plusieurs multinationales et a creusé ses premiers puits en 2011 dans l'extrême Sud.
On parle de réserves alors que ce sont des ressources. Ce que l'on peut produire à un coût acceptable, c'est uniquement 7% des ressources, insiste M. Zouioueche.
- 'Etre dans le progrès' -
Pour Hocine Malti, ancien vice-président de Sonatrach qui a publié une lettre ouverte à M. Bouteflika, sous le titre Algériens, indignez-vous!, les chiffres avancés par le DoE sont approximatifs.
Aucune étude sérieuse, ni aucun travail de recherche sur le terrain ne sont venus, à ce jour, confirmer la véracité de ces chiffres, souligne-t-il.
Le Pr Chitour réclame un débat national sur l'avenir énergétique du pays et souhaite une transition énergétique apaisée qui puisse arriver à un bouquet énergétique.
De son côté, Abdelamdjid Attar, qui fut également PDG de Sonatrach, souligne que l'incertitude sur la sécurité énergétique du pays dans 15 ou 20 ans nécessite qu'on démarre les travaux d'exploration avec des projets pilote dans ce sens dès maintenant, en partenariat, pour ne pas risquer d'être en retard le moment venu.
D'ici 2030, la solution sera dans le progrès et non dans la crainte, estime-t-il.
Un responsable au ministère de l'Energie juge de son côté que l'équation est simple. Si nous continuons à importer autant de nourriture et de superflu, nous n'aurons pas d'autres choix que d'extraire le gaz de schiste. C'est une option stratégique, dit-il, en déplorant que le pays importe déjà du carburant parce que des Algériens roulent en 4x4 en ville.