🌍 Climat: quand la fin des énergies fossiles tourne à la querelle sémantique
Le sujet des énergies fossiles "unabated", littéralement "sans relâche" ou "non atténuées", revient sans cesse depuis un an: le G7 a appelé au printemps à accélérer leur abandon, le premier bilan officiel de l'accord de Paris a jugé "indispensable" d'en sortir au plus vite et, lundi, les 27 pays de l'UE tentait d'arrêter une position commune pour la COP28.
Mais le terme "unabated" condamne-t-il l'essentiel des usages de pétrole, charbon et gaz, cause primordiale de la crise climatique ? Ou bien va-t-il servir à justifier une poursuite massive de leur combustion ?
"Il n'existe pas de définition internationalement reconnue de ce que signifient les termes +unabated+ ou +abated+", explique Katrine Petersen du groupe de réflexion sur le changement climatique E3G.
Ce qui s'en rapproche le plus est une note de bas de page dans le dernier rapport du Giec, les experts climat mandatés par les Nations unies: les combustibles fossiles "unabated" sont ceux produits et consommés "sans mesure permettant de réduire de manière substantielle" la quantité de gaz à effet de serre émis tout au long du cycle.
Ces mesures peuvent inclure le captage d'au moins 90% des émissions de CO2 des centrales électriques, ou de 50 à 80% du méthane qui s'échappe lors de la production et du transport des hydrocarbures, chiffre le Giec.
Mais pour Katrine Petersen, cette définition est incomplète, car "elle ne dit rien sur le fait que la réduction devrait exclure la compensation du carbone, ou que tout captage de CO2 devrait être permanent".
La "compensation carbone" désigne l'achat de droits à polluer résultant de la déforestation évitée, de plantations absorbant le CO2 ou de l'élimination chimique du CO2 de l'atmosphère.
⤵ "Ouverte à interprétation"
In fine, le bras de fer sur l'adjectif "unabated" se concentre sur le captage et le stockage du carbone (CSC) vantés par l'industrie pétrogazière et les pays producteurs, notamment les Émirats arabes unis qui président la COP28.
Ces technologies, jugées nécessaires dans une petite proportion par le Giec, sont accusées d'être une justification pour l'extension de la production de combustibles fossiles au lieu de privilégier les alternatives.
La quantité d'émissions qu'il faut retenir pour considérer la combustion comme suffisamment "abated" (réduite) reste floue.
L'absence de définition précise risque de rendre toute décision de la COP28 largement "ouverte à interprétation", s'inquiète Mme Petersen.
Des taux de captage supérieurs à 95%, un stockage permanent, l'exclusion des compensations de carbone et la couverture de l'ensemble du cycle de vie des combustibles fossiles sont des garde-fous essentiels à établir, suggèrent plusieurs experts.
Peu de centrales utilisent actuellement ces technologies qui, selon l'Agence internationale de l'énergie, sont "coûteuses et n'ont pas fait leurs preuves à grande échelle".
Sultan Al Jaber, président de la COP28 et directeur de la compagnie pétrogazière nationale émiratie, a déclaré que la diplomatie devrait se concentrer sur l'élimination progressive des émissions de pétrole et de gaz, et pas nécessairement sur la fin des combustibles fossiles eux-mêmes.
Sa position contraste avec celle de certains pays qui réclament un abandon total, notamment des nations insulaires, premières menacées par la montée des eaux et qui réclament un "traité de non-prolifération" des combustibles fossiles.
Une poignée de pays européens, dont la France, l'Autriche, l'Espagne et les Pays-Bas, ont appelé à une "élimination progressive des combustibles fossiles", qu'ils soient ou non "unabated".
Ce bloc, selon une source proche des négociateurs européens, n'envisage qu'un rôle mineur pour ces dispositifs, à limiter aux industries les plus difficiles à décarboner, tandis que les énergies bas-carbone doivent effacer rapidement les combustibles fossiles du reste de l'économie.
Cette définition restrictive devrait toutefois rencontrer une forte résistance de pays dépendants du pétrole et du gaz lors de la COP, selon cette source.