Totalenergies: plainte pour complicité de crimes de guerre en Ukraine écartée
Dans une ordonnance rendue le 19 octobre dont l'AFP a eu connaissance mercredi, le doyen des juges d'instruction du pôle crimes contre l'humanité du tribunal judiciaire de Paris a clos le dossier en déclarant irrecevables l'ONG bordelaise Darwin Climax Coalition et l'ukrainienne Razom We Stand, qui réclame un embargo sur les importations d'énergie fossile de Russie.
Ces associations avaient déposé une première plainte en octobre 2022 fondée sur plusieurs documents dévoilés par Le Monde et une enquête de l'ONG Global Witness.
"Si elle se confirme, TotalEnergies prend acte de cette décision", a indiqué un porte-parole du groupe mercredi, informé par l'AFP de cette ordonnance d'irrecevabilité.
Le groupe y a vu une confirmation de sa position selon lesquelles "ces accusations graves étaient dénuées de tout fondement tant en droit qu'en fait".
La plainte initiale avait été classée sans suite par le Parquet national antiterroriste (Pnat) pour infraction insuffisamment caractérisée, "après une analyse approfondie tant juridique que factuelle de l'ensemble des éléments transmis par les plaignants et, d'initiative, par TotalEnergies".
Après un premier recours écarté, les associations avaient déposé une plainte avec constitution de partie civile en mars 2023, une procédure qui permet généralement d'obtenir la désignation d'un juge d'instruction.
Mais conformément aux réquisitions du Pnat, le doyen a rejeté la demande des associations pour raisons procédurales, estimant qu'elles ne respectaient pas les cinq années d'ancienneté nécessaires pas plus qu'elles n'avaient l'objet social approprié pour ester en justice dans ce type de dossiers.
"Entrave"
"La vision très restrictive donnée à l'intérêt à agir fait obstacle à la poursuite d'investigations sur un sujet majeur", ont commenté mercredi Mes William Bourdon et Vincent Brengarth, avocats des ONG sollicités par l'AFP.
"Elle entrave l'action de la société civile alors que des éléments convergents avaient été réunis accréditant la complicité de Total. Cette entrave est d'autant plus contestable que l'invasion en Ukraine se poursuit au mépris total du droit international", ont-ils ajouté.
Les deux avocats n'ont toutefois pas fait appel, et indiqué explorer d'autres voies de recours.
Les plaignants rappelaient dans le détail que TotalEnergies détenait jusqu'à septembre 2022 49% de la coentreprise Terneftegaz, qui exploite le gisement de Termokarstovoïe, dans le grand Nord russe.
Or, selon Le Monde et Global Witness, le champ Termokarstovoïe a fourni du condensat de gaz à une raffinerie qui en a fait du carburant ensuite expédié pour alimenter les avions russes engagés dans le conflit en Ukraine, au moins jusqu'en juillet 2022.
Le géant français de l'énergie avait assuré à l'époque qu'il ne produisait "pas de kérosène pour l'armée russe", puis précisé avoir trouvé un accord pour céder ses parts, soulignant "conduire ses opérations dans le strict respect de la politique de l'UE et des mesures de sanctions européennes applicables".
TotalEnergies était avant le conflit en Ukraine l'un des groupes français les plus exposés en Russie en matière d'énergie.
Il avait annoncé dès fin avril 2022 un "début de repli", et quatre mois plus tard la suspension progressive de ses activités en Russie pour "celles qui ne contribuent pas à l'approvisionnement énergétique du continent" européen.
Au total, sur l'année 2022, TotalEnergies avait déprécié pour 15 milliards de dollars (13,8 milliards d'euros) d'actifs russes.
Seule exception majeure, TotalEnergies est toujours lié à un contrat d'approvisionnement en gaz liquéfié (GNL) adossé au champ gazier de Yamal LNG en Sibérie, absent des sanctions européennes contre Moscou.
Devant les députés français, le PDG du groupe, Patrick Pouyanné, avait indiqué fin 2022 maintenir ce contrat "pour le bien-être des populations européennes, pour assurer la sécurité d'approvisionnement de l'Europe".
Depuis 2019, TotalEnergies est par ailleurs sous le coup de plusieurs procédures judiciaires lancées par des ONG sur des sujets climatiques, environnementaux et sociaux.
(c) AFP