A Corpus Christi au Texas, le 'robinet' du pétrole américain fait peau neuve
"Les États-Unis vivent une renaissance énergétique inconnue depuis 70 ans", s'enthousiasme Sean Strawbridge, fringant PDG du port depuis 2015.
"Les volumes de pétrole produits doivent trouver un débouché. Si on ne s'en charge pas, quelqu'un d'autre le fera", ajoute le quinquagénaire. Les exportations du port pourraient passer à 2,7 millions de barils par jour une fois les travaux achevés, contre 700.000 aujourd'hui, d'après lui.
Trois nouveaux oléoducs s'ajouteront bientôt à ce paysage peu esthétique mais très rentable. Epic, Cactus et Grey Oak seront opérationnels fin 2019, pour une capacité de transport de deux millions de barils supplémentaires par jour.
Ces trois conduits géants relieront le port aux deux principaux réservoirs de pétrole de schiste du pays: Eagle Ford, mais surtout le bassin permien, à cheval entre l'ouest du Texas et le Nouveau-Mexique.
Nourri aux investissements massifs des deux géants ExxonMobil et Chevron, le "permien" libère chaque jour 4,1 millions de barils. Il pourrait monter à 4,5 millions d'ici cinq ans selon les autorités américaines, de quoi rivaliser avec les champs les plus productifs au monde.
Les trois oléoducs permettront d'endiguer les problèmes de congestion qui affectent le bassin, imposant le transport du brut par camions et trains, beaucoup plus coûteux.
Grâce à ces 3 mètres supplémentaires, les navires "VLCC", pourront charger un peu plus de barils sur la côte -- et moins au large à l'aide de bateaux plus petits -- ce qui est moins cher et plus rapide. Ces navires "stars" de l'industrie, plus longs que deux terrains de football, peuvent transporter deux millions de barils.
"Le nerf de la guerre c'est de pouvoir mettre plus de pétrole par navire", confie Khalid Muslih, à la tête des activités de terminaux pour Buckeye Partners. Ce groupe construit deux terminaux à Corpus Christi et va agrandir ses capacités de stockage de liquides.
Avec une production journalière de 12 millions de barils et une consommation stagnante, l'Amérique dépasse régulièrement les trois millions de barils exportés chaque jour, du jamais-vu. Alléchée par les perspectives, elle veut désormais vendre davantage de pétrole brut et de produits raffinés qu'elle n'en achète, de quoi soigner un peu son déficit commercial record.
Cependant, ce qui est vu par les uns comme une chance historique est perçu par d'autres comme une "destruction" annoncée.
A l'embouchure de la baie de Corpus Christi, la commune côtière de Port Aransas, sur le tracé du programme de dragage, constitue un estuaire par lequel transitent beaucoup d'animaux marins, tels que les crabes et les crevettes.
"Si vous modifiez la profondeur de l'eau, vous modifiez l'ensemble du cycle de ces espèces", s'alarme Dan Pecore, membre de l'organisation écologiste Port Aransas Conservancy, bien que le port mette en avant sa préoccupation de la préservation de la nature.
Ancien de l'industrie pétrolière, reconverti dans la fabrication de bateaux, il s'inquiète de la "mort lente" de la pêche et du surf alors que le port lorgne déjà sur un dragage plus profond encore à 23 mètres.
L'organisation ne nie pas l'argument du développement économique dans une ville de plus de 300.000 habitants où plus de 76.000 emplois directs et indirects sont liés au port.
Elle préconise toutefois des infrastructures offshore pour accueillir les supertankers sans dénaturer la côte, à l'image de ce qui se fait en Louisiane. Or le port combat ce projet, porté par un concurrent, qui risquerait d'amputer ses recettes liées au trafic des navires.
Selon Dan Pecore, la fuite en avant est révélatrice de la présidence de Donald Trump. Le milliardaire a déjà montré le peu d'intérêt qu'il portait à l'environnement en retirant une partie de la régulation sur le secteur pétrolier.
Sur les perspectives de dragage, M. Trump affirmait en octobre: "Cela représentera un avantage énorme. On pourra vendre beaucoup plus de pétrole".
"Il ne peut pas y avoir meilleure relation entre Trump et le port", soupire l'écologiste.
(c) AwP