Corruption au Nigeria: le secteur pétrolier toujours aussi opaque
Au terme de son mandat, des voix s'élèvent pour dénoncer l'opacité du secteur, même dans son propre camp, alors qu'il est candidat à sa succession pour la présidentielle de février 2019.
En arrivant au pouvoir en 2015, l'ancien général s'est autodésigné ministre du Pétrole en plus de son rôle de président.
Pire, le géant d'Afrique de l'Ouest dispose de très peu de raffineries et doit réimporter la quasi-totalité des dizaines de millions de litres d'essence pour la consommation de ses 180 millions d'habitants.
Face à cette aberration, le gouvernement prend en charge une grande partie des coûts de distribution permettant aux consommateurs, qui sont avant tout des électeurs, d'acheter leur essence à 145 nairas le litre (0,34 euro, soit la moitié du prix au Bénin voisin).
Néanmoins, les distributeurs ont abusé de ce système, en fixant des taux d'achat de pétrole raffiné beaucoup plus importants que s'il était vendu directement au consommateur.
Autre inconvénient de ces subventions: lorsque l'Etat ne paie pas ses dettes et doit de fortes sommes d'argent aux distributeurs, ils coupent les vannes, causant des pénuries d'essence désastreuses pour l'économie et le chaos.
Pour éviter ces deux écueils, le président Buhari a décidé de suspendre une grande partie des sociétés d'importation de carburant, faisant de la Société nationale nigériane de pétrole (NNPC), le principal importateur de carburant.
- Astronomique
La NNPC exporte le brut. Réimporte l'essence. Et rend l'argent au gouvernement après avoir déduit la somme des subventions... dont le montant augmente considérablement.
"L'administration Buhari avait promis plus de transparence dans les opérations de la NNPC, mais ce n'est pas le cas", explique à l'AFP Cheta Nwanze, directrice de recherche pour SBM Intelligence à Lagos. "Les subventions n'ont pas +fortement+ augmenté. Elles ont augmenté de façon astronomique".
Selon les données de la NNPC, l'Etat a payé 215 millions de dollars en avril, soit près de cinq fois le montant de 46 millions de dollars enregistré en novembre. En mai, le montant atteignait 245 millions de dollars.
A quelques mois de la présidentielle, Abel Akeni de BudgIT, un groupe de la société civile qui lutte contre la corruption, regrette que "la NNPC se soit soumise à aucune forme de surveillance directe". "On craint vraiment que l'argent puisse être redirigé. On ne sait pas qui reçoit quel montant".
En avril, le secrétaire d'Etat au Pétrole, Emmanuel Ibe Kachikwu, avait déclaré que l'Etat nigérian dépensait 3,9 milliards de dollars chaque année en subventions (321 millions de dollars par mois). Comme souvent, il s'est ensuite retracté.
Il s'est probablement souvenu du sort de l'ancien gouverneur de la Banque Centrale, Lamido Sanusi, qui avait accusé la NNPC de ne pas avoir reversé 20 milliards de dollars de revenus du pétrole à l'Etat en 2014, sous l'administation de Goodluck Jonathan. Il avait été aussitôt remercié.
La ministre des Finances, Kemi Adeosun, avait déploré en juin ces dépenses "inacceptables". Elle a depuis été forcée à la démission.
Les députés de l'opposition ont déclaré en juillet qu'il y avait un "besoin urgent" d'enquêter sur les manquements de la NNPC.
Le porte-parole de la NNPC, Ndu Ughamadu, n'a pas souhaité répondre aux questions de l'AFP.
Mais la ligne officielle est que l'augmentation soudaine des fonds pour les subventions s'explique par la hausse des coûts à l'importation de l'essence et à l'augmentation du prix du baril.
Une des solutions possibles serait de faire fluctuer le prix à la pompe en fonction du prix du baril et de fixer celui des subvenstions. Cela éviterait les manipulations des chiffres au sein de la NNPC.
"Mais le gouvernement ne parvient pas à l'imposer", constate l'économiste nigérian Nonso Obikili. "Il y a trop de personnes qui ont des intérêts avec ce système".
(c) AFP