"Pétrole contre nourriture": la condamnation de Total au crible de la Cour de Cassation
Le programme onusien permettait au régime de Saddam Hussein de vendre du pétrole, en quantités limitées, en échange de biens humanitaires et de consommation. Mais Bagdad avait contourné ce programme par le biais de ventes parallèles et de surfacturations, en encaissant des ristournes sur les ventes de millions de barils.
Total a-t-il, à l'époque de l'embargo imposé à l'Irak après l'invasion du Koweit en 1990, contourné le programme onusien "pétrole contre nourriture" en vigueur de 1996 à 2003 et destiné à atténuer les effets du blocus pétrolier pour la population?
Après une relaxe générale en juillet 2013, le groupe français Total a été condamné en février 2016 par la cour d'appel de Paris à 750.000 euros d'amende pour corruption d'agent public étranger, le pétrolier suisse Vitol à 300.000 euros d'amende et onze autres prévenus, dont d'ex-diplomates ou hommes d'affaires, à des amendes allant de 5.000 euros avec sursis à 100.000 euros.
Les principaux acteurs de cette affaire se sont pourvus en cassation. Devant la chambre criminelle, les avocats des requérants ont usé mercredi d'arguments aussi techniques que politiques.
"Pistolet sur la tempe"
Pour l'avocat de Total, Patrice Spinosi, "on ne peut pas parler de corruption d'agent public étranger quand le bénéficiaire de l'infraction est l'Etat lui-même". "L'agent public ne détourne pas mais remplit la mission qui lui est confiée", a-t-il insisté.
"Pas moins de 2.200 entreprises ont participé à ce système, la France est le seul pays à avoir prononcé une condamnation pour corruption", a-t-il relevé, déplorant "une condamnation qui s'apparente plus à un jugement moral qu'à une décision de justice".
"De quoi parlons-nous?", a renchéri Me Claire Waquet, avocate de l'ancien numéro 2 de Total Bernard Polge de Combret. "Cinq ans après l'embargo, l'Irak meurt de faim. L'embargo est assoupli, le memorandum signé entre l'ONU et l'Irak, pistolet sur la tempe, permet de vendre un peu de pétrole à un prix inférieur au marché".
"Dans les faits, des commerçants achètent moins cher et revendent au prix du marché. Saddam Hussein réclame que cette marge lui revienne. Finalement, ce qu'on reproche à Total, c'est d'être revenu au prix du marché", a-t-elle estimé.
Pour la société suisse Vitol, Me Emmanuel Piwnica a fait valoir que son client avait déjà été condamné en 2007 par la justice américaine à payer 17,5 millions de dollars, et ne saurait être à nouveau sanctionné en vertu de la règle du "Ne bis in idem" qui veut que l'on ne soit pas condamné deux fois pour les mêmes faits.
Le représentant du ministère public a demandé la confirmation des condamnations prononcées par la cour d'appel. Il a notamment estimé que le fait que l'agent public irakien n'ait pas tiré un profit personnel des opérations ne faisait pas tomber l'accusation de corruption.
Un deuxième volet de cette affaire avait abouti le 18 juin 2015 à la relaxe de 14 sociétés, dont Renault Trucks, Legrand et Schneider Electric. Le procès en appel devrait se tenir la semaine prochaine, à moins d'une demande de renvoi des parties, dans l'attente de la décision de la Cour de cassation sur le premier volet.
(c) AFP