A L'INRA de Marseille, on prépare la révolution des biocarburants avec des champignons
Au milieu des calanques sur le campus de Luminy, l'unité BCM (Biotechnologie des Champignons Filamenteux) travaille sur les propriétés naturelles de certains champignons qui savent digérer le bois.
Nous, on leur fait cracher les outils pour dégrader le bois: leurs enzymes sont des +ciseaux+ qui permettent de découper le bois en petites molécules utilisables ensuite dans des procédés chimiques, explique le professeur Jean-Claude Sigoillot. Ce chercheur dirige l'unité marseillaise, l'une des trente équipes dans le monde qui planchent sur les champignons pour inventer la chimie du futur, qui sera plus propre et plus économe en ressources naturelles.
-La bioraffinerie , l'alternative au pétrole-
Avec les enzymes des champignons nous pouvons, à partir de bois, de paille, de déchets végétaux que l'on déconstruit en +briques+ (appelées molécules plateformes, ndlr) recombinables, remplacer tous les dérivés du pétrole par des produits plus respectueux de l'environnement, explique le professeur.
Ainsi avec ces techniques de bioraffinerie , comme lorsqu'on part du pétrole, on découpe le bois en +molécules plateformes+ que l'on va réutiliser pour faire des colles, des résines ou des carburants.... Des produits plus sains permettant de fabriquer par exemple des meubles en bois aggloméré sans formaldéhyde, un composé cancérogène toujours largement employé.Pour ces recherches, l'équipe Marseillaise s'appuie sur une collection de champignons forte de 2.000 souches (Centre international de ressources microbiennes-Marseille) dont une partie a été recueillie dans la nature par la pharmacienne de l'unité, Anne Favel, en France ou dans la forêt tropicale guyanaise.
On trouve des choses intéressante en Guyane. On n'a pas toutes les espèces dans notre labo et il nous faut des champignons qui viennent de biotopes différents, de régions différentes et qui ont développé des +aptitudes+ différentes, souligne la pharmacienne, avouant que ces missions en forêt tropicale sont toujours des aventures... il y a des insectes, des araignées venimeuses, des serpents mortels, des plantes couvertes d'épines et des orpailleurs qui n'apprécient pas forcément le voisinage des chercheurs.
Un jeu qui en vaut la chandelle, estime-t-elle, car les champignons sont un univers à défricher au niveau des molécules actives.
Jean-Claude Sigoillot explique qu'à partir de cette collection de différentes souches, les chercheurs essaient d'identifier les propriétés des enzymes, pour en faire des cocktails adaptés à dégrader différents végétaux. Les applications sont multiples et l'équipe marseillaise a ainsi mis au point de tels cocktails enzymatiques qui ont des débouchés industriels pour blanchir la pâte à papier sans utiliser de chlore, ou pour digérer les encres des papiers recyclés.
-Une usine prototype pour les biocarburants-
Mais, l'un des programmes phares du laboratoire marseillais, c'est sa participation au projet Futurol. Lancé en 2008, ce programme qui réunit une dizaine de partenaires (Confédération Générale des Betteraviers , Champagne Céréales, Crédit Agricole du Nord-Est, IFP, Institut National de la Recherche Agronomique (INRA), Lesaffre, Office National des Forêts, Tereos, Total et Unigrains) a pour ambition de mettre sur pied une véritable filière éthanol de deuxième génération.
Cette filière de production n'utilise plus les parties comestibles des plantes, comme c'est le cas des bioéthanols de première génération produits à partir de betterave ou de canne à sucre, mais permet de valoriser les déchets végétaux, la paille, le bois.
Un site pilote de production de biocarburant de seconde génération fonctionne depuis 2011 dans la Marne à Pomacle-Bazancourt. Selon Jean-Claude Sigoillot, une usine prototype va prendre la suite dans les prochains mois pour passer au stade industriel et permettre ainsi de démontrer la rentabilité de la filière.
En France, une quinzaine d'usines de première génération produisent de l'éthanol. L'idée c'est de les transformer pour qu'elles consomment des déchets verts, lance le chercheur. Ainsi, en valorisant des déchets, la production de biocarburant de seconde génération ne sera plus en concurrence avec l'alimentation humaine.